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Brigades vertes sur le Grand Site de Solutré Vergisson
4 juillet 2008

PATRIMOINE ET COMMUNES RURALES. LE DESARROI DES ELUS

PATRIMOINE ET COMMUNES RURALES. LE DESARROI DES ELUS

Saluée comme une avancée de la démocratie locale et un moyen de rapprocher les citoyens des centres de décision, la décentralisation s’est traduite par l’octroi, au profit des collectivités territoriales, de nouvelles compétences. Souvent accablés par les urgences du quotidien, les maires, et particulièrement ceux des petites communes, se retrouvent bien démunis lorsqu’il s’agit d’entretenir leur patrimoine ou de lutter contre les atteintes au paysage. Une situation qu’aggrave le désengagement financier de l’État et la complexité des procédures administratives.


Camille Lamotte

« Voici un exemple typique de cas auquel je suis régulièrement confronté : à l’intersection du Loiret, de la Seine-et-Marne et de l’Yonne, la petite commune de Rozoy-le-Vieil (trois cents habitants) doit restaurer son église classée, ainsi qu’un ancien pressoir datant du xixe siècle. À la suite de problèmes de sécurité dans l’église, nous sommes venus évaluer l’état du bâtiment et avons proposé des travaux d’entretien pour soutenir la voûte en bois lambrissé. Depuis, c’est le parcours du combattant pour le montage des dossiers de subventions… » Conseils et aide aux élus, tel est le quotidien de Frédéric Aubanton, architecte des Bâtiments de France (ABF), qui sillonne sans relâche le Loiret, au secours des monuments mal en point. Et des maires un peu dépassés…

« C’est une évolution administrative et historique majeure de ces dernières années : aujourd’hui, les communes doivent apprendre à se débrouiller seules ou à se regrouper, que ce soit pour assurer les restaurations ou pour beaucoup d’autres choses, d’ailleurs. Le problème, c’est que l’essentiel du patrimoine rural est non protégé. Et qu’il ne bénéficie donc d’aucune aide… Il s’agit en grande majorité d’églises, trop souvent victimes de la loi de séparation de l’Église et de l’État de 1905. Certains maires, en opposition avec leur curé, prennent le bâtiment “en otage” en ajournant continuellement les travaux de restauration. La case “patrimoine rural non protégé”, qu’il suffisait de cocher pour obtenir quelques subsides de l’État, a disparu avec

la décentralisation. La

charge en revient désormais au département. On s’imagine alors que le classement d’un bâtiment devient la solution miracle pour assurer son entretien, mais les élus désargentés attendent souvent “le pire” pour intervenir.

« L’état de conservation est donc assez variable, d’autant que les maires préfèrent mettre de l’argent dans un investissement visible plutôt que dans des travaux d’entretien qu’on ne voit pas. Résultat : il n’est pas rare que je visite des églises dont les escaliers sont trop vermoulus pour que je m’y aventure. Parfois, c’est la porte du clocher qui ne peut plus s’ouvrir à cause de l’empilement des pigeons morts derrière… Mais en fait, on ne connaît pas vraiment l’état de ce patrimoine non protégé. » Car depuis les lois de 2004, votées dans le cadre de « l’acte 2 de la décentralisation », la mission des ABF est de veiller essentiellement sur les monuments classés, qu’ils sont censés visiter au moins une fois dans l’année. Un travail de titan pour Frédéric Aubanton, seul ABF du Loiret, et pour son unique assistant !

Le maquis des subventions

Maintenir le patrimoine communal en état relève souvent, pour les élus, du parcours du combattant… Car si le patrimoine rural non protégé est quasi laissé à l’abandon, il faut, pour le patrimoine officiel classé, inscrit ou protégé, savoir actionner un grand nombre de leviers financiers. « Pour les bâtiments classés, les subventions d’État prévoient entre 40 et 50 % de la facture, et pour les monuments inscrits, environ 20 %, explique Frédéric Aubanton. Mais les conseils généraux mettent également souvent la main à

la poche. Pour

les maires les plus astucieux, la chasse aux subventions revient à un empilement de sources de financement diverses, véritable arsenal allant de la subvention à la souscription… » Comme les « subventions abords », qui permettent d’obtenir une aide si le bâtiment se situe dans le périmètre de protection d’un monument protégé, les souscriptions collectées par la

Fondation du patrimoine

auprès des entreprises et des particuliers, les mannes de l’association de la Sauvegarde de l’art français, la Dotation globale d’équipement (DGE) pour les travaux d’investissement, non cumulable avec les aides du ministère de la Culture, ou encore la « réserve parlementaire », une enveloppe donnée au maire à titre gracieux et exceptionnel…

Mobiliser les énergies

Denis Marty, maire élu depuis vingt-cinq ans à Monestiès (Tarn), connaît bien ces procédures. En 1992, son village médiéval de mille quatre cents habitants n’a pas déboursé un centime pour les restaurations successives de

la chapelle Saint-Jacques

et de

la magnifique Mise

au tombeau sculptée, commandée en 1480 par Louis d’Amboise, évêque d’Albi, qu’elle abrite. Humidité ambiante, outrages du temps… Il a pourtant fallu engager une restauration intégrale de la chapelle (sol, toiture, aménagement, éclairage) et un travail de fourmi pour mettre au jour les peintures originelles du xve siècle qui ornaient le calvaire. Le financement, lui, a été exemplaire. « Une levée de fonds de près de 2,5 millions de francs (381 000 €), grâce à un cofinancement public — État, Europe, conseil régional — et au mécénat apporté par de grands groupes privés, résume-t-il. C’était l’époque où le ministère de la Culture avait de l’argent pour cela. Aujourd’hui, c’est différent, il est beaucoup plus difficile d’obtenir des aides. »

Mais l’opiniâtre maire ne se démonte pas pour autant : « Grâce à la restauration de la chapelle, nous avons pu structurer les offres et les flux touristiques, avec l’aménagement d’un terrain de camping, d’un office de tourisme et d’un musée. Soit, en tout, un deuxième financement de 4,5 millions de francs (686 000 €) répartis entre les collectivités locales, la région, l’État et l’Europe. C’est d’ailleurs la communauté des neuf communes du canton qui a présenté le projet. Depuis, Monestiès a été labellisé par l’association des “Plus beaux villages de France”, en 2001, et sa fréquentation a augmenté de 70 % la première année. Aujourd’hui, notre flux touristique oscille entre 80 000 et 120 000 visiteurs par an. Mais ce n’est pas encore suffisant pour sauver certains commerces. Du coup, nous voulons aller encore plus loin et professionnaliser l’offre touristique pour nous inscrire dans une démarche de pérennité des emplois. Dans cette intention, les vingt-six communes se sont réunies pour une concertation globale… »

L’union fait la force

Travailler ensemble, c’est désormais le leitmotiv de la plupart des élus, qui se sentent ainsi plus forts et plus crédibles dans leur demande d’aides publiques. C’est sur ce modèle que le pays Sologne-Val-Sud a décidé d’organiser le territoire et la vie rurale, grâce à l’élaboration d’une charte architecturale et paysagère. « Nous étions face à une démographie en hausse, une urbanisation soutenue et une pression foncière accrue dans l’agglomération orléanaise, donc un risque de banalisation du paysage, explique Clément Oziel, maire de Cléry-Saint-André et président du Syndicat mixte du pays Sologne-Val-Sud. Nous avons décidé de réagir en proposant une charte pour sensibiliser et informer les citoyens sur la spécificité et l’identité de ce territoire. »

« Cela a été un travail long et consensuel, renchérit Bertrand Hauchecorne, maire de Mareau-aux-Prés et vice-président du Syndicat mixte Sologne-Val-Sud. Architectes, élus, paysagiste… de nombreux acteurs se sont engagés dans cette élaboration. Là encore, l’argent constituait le nerf de

la guerre. Grâce

aux subventions de la Direction régionale de l’environnement (Diren), nous avons pu financer les cabinets d’architectes paysagistes, assurer la communication et la diffusion de la charte, ainsi qu’une exposition itinérante. C’était important : refaire les entrées de bourg, les clôtures, agrandir et modifier une maison traditionnelle sans la déstructurer, cela fait aussi partie de notre patrimoine commun. Avec l’inscription du Val de Loire au Patrimoine mondial de l’Unesco, il était nécessaire de rendre cohérente la politique d’urbanisation et la sauvegarde du paysage. Pour cela, nous disposons aujourd’hui d’outils conséquents, comme le Plan d’occupation des sols (Pos), compétence de la commune depuis 1983, et transformé en Plan local d’urbanisme (PLU) en 2000. Notre charte vient s’inscrire dans cette démarche. Nous espérons ainsi influer sur certaines décisions des maires. »

Une initiative intéressante visant à sensibiliser les élus, souvent accablés par les urgences du quotidien, aux problèmes de préservation du patrimoine et des paysages. À terme, et si un jour le statut de l’élu, toujours promis, mais jamais mis en œuvre, voyait le jour, ne pourrait-on imaginer, dans le cadre des formations qui leur seraient offertes, un module traitant de l’urbanisme, du patrimoine et de l’environnement ?

Patrimoine et communes rurales

Témoignages

Deux acteurs de terrain évoquent pour VMF les enseignements tirés d’une longue pratique. Louis Causse, architecte des Bâtiments de France de l’Aveyron, insiste sur l’importance d’un suivi régulier du patrimoine et souligne le rôle positif que les associations locales peuvent jouer dans ce domaine. Louis Bouchet, maire d’une petite commune de la Loire, évoque les difficultés qu’il a affrontées à l’occasion d’un important chantier de restauration.

Propos recueillis par Camille Lamotte

« Les communes doivent s’habituer à entretenir leur patrimoine régulièrement plutôt que de le restaurer à grand frais. » (Louis Causse, architecte des Bâtiments de France de l’Aveyron et chef du Service départemental de l’architecture et du patrimoine (SDAP).)

Cela fait aujourd’hui vingt-sept ans que je sillonne l’Aveyron, ce qui représente annuellement

45 000 km

. L’ABF est chargé de plusieurs missions : suivi et entretien des monuments (200 classés, 300 inscrits) et des sites protégés (90) ; restauration du patrimoine rural (fours, moulins, pigeonniers, fontaines…), d’une variété et d’un volume incommensurables.

Ce patrimoine est parfois spécifique de la région, comme les sécadous, séchoirs à châtaignes des zones schisteuses ; burons servant sur les montagnes de l’Aubrac à la fabrication de la tome et du fromage, et à sa conservation ; jasses ou vastes bergeries voûtées abritant les troupeaux de brebis des Grands Causses…

Sur les 304 communes du département, 92 % ont moins de 1 000 habitants ; la plus modeste a moins de 40 habitants. Démunies de moyens, elles sollicitent le Service départemental de l’architecture et du patrimoine, qui les informe sur les aides publiques et les accompagne jusqu’au chantier. Il est important de convaincre les communes d’entretenir régulièrement leur patrimoine plutôt que de le restaurer à grands frais.

Un fort tissu associatif local contribue à assurer ce suivi : ainsi l’association « Sauvegarde du Rouergue » fédère une cinquantaine d’associations, au sein desquelles près de cinq cents adhérents participent au sauvetage du patrimoine de proximité. On peut citer aussi l’action de l’association Rempart, qui conduit des chantiers où interviennent professionnels, associations de réinsertion et bénévoles : le sauvetage du château de Peyrelade, dans les gorges du Tarn, est un des chantiers phares de cette association. Le Service départemental de l’architecture et du patrimoine assure la coordination des travaux. D’autres initiatives sont à signaler, comme celle de la communauté des communes du Carladez, qui a racheté le château de Valon (xiie-xive siècles) pour le restaurer et l’ouvrir à la visite.

Sauvegarder le patrimoine n’est pas seulement une action culturelle. C’est aussi le moteur d’une action économique, monuments et sites constituant la ressource première du tourisme. En protégeant nos racines, nous protégeons notre vie même et les valeurs qui composent notre personnalité, notre originalité, notre richesse. L’expérience de terrain montre que partout où se lèvent des volontés pour sauvegarder un site, un témoignage bâti, les énergies convergentes y parviennent. Combien de communautés humaines se sont littéralement reconstruites en mettant leurs énergies en commun ?

« La Drac s’est engagée sur des crédits qu’elle n’avait pas en caisse… » (Louis Bouchet, maire depuis 2001 de la commune de Marcilly-le-Châtel (Loire) )

Le patrimoine monumental du village se résume principalement à l’église Saint-Cyr, inscrite au titre des Monuments historiques. Voilà pour le patrimoine officiel. Mais il y a tout le reste… le petit patrimoine non protégé : des pigeonniers de diverses périodes — on en a restauré deux, les autres sont susceptibles de disparaître —, des lavoirs et des croix de chemin (dont la plus ancienne date de 1588), des maisons typiques en pisé, des quartiers de tuiliers et de briquetiers qui exploitaient le sous-sol argileux. Toute une activité passée, qui a façonné une identité et un paysage…

Pour revenir à notre église, nous avons lancé, à la fin des années 1990, deux premières tranches de restauration destinées à sauver le gros œuvre. En 1996, toiture et clocher ont été refaits sous la direction de l’architecte des Bâtiments de France ; les travaux ont été financés à 80 % par des subventions de l’État et du conseil général. Puis, en 2000, nous nous sommes attaqués à la rénovation des murs extérieurs, grâce à la participation du Syndicat intercommunal des énergies de la Loire (Siel), une sorte d’intercommunalité avant l’heure. Mais le plus laborieux est intervenu après la loi sur la décentralisation du patrimoine : la dernière phase des travaux concernait l’intérieur de l’église et la restauration des peintures murales. Les subsides ont été réduits, et nous avons dû étaler les travaux sur trois ans, à partir de 2005.

Après un appel d’offres, nous avons commencé les travaux avec les premiers 15 % versés par l’État, via la Direction régionale de l’action culturelle (Drac). En tout, 175 000 € ont été débloqués. Dont nous n’avons toujours pas vu la couleur… En fait, la Drac s’est engagée sur des crédits qu’elle n’avait pas en caisse, avec un retard moyen de financement de deux ans pour le remboursement de l’argent avancé par les communes. Pour une petite localité comme nous, c’est un véritable coup de poignard. D’autant que, pendant le montage des dossiers et les rendez-vous, personne n’avait mentionné ce détail. J’ai dû pour la première fois faire une ligne de crédit, dont nous payons les intérêts. Heureusement, une association du village a lancé une souscription chez les fidèles, et le conseil général nous a versé de l’argent. Mais l’expérience a été rude.

L’avis des VMF

Parmi les prérogatives confiées aux maires d’aujourd’hui, figurent d’abord l’entretien et la remise en état des monuments, petits ou grands, dont le coût financier est souvent démesuré par rapport aux ressources de

la commune. Investissement

très utile pour l’avenir.

En effet, il faut rappeler à toutes les collectivités publiques susceptibles de travailler à ce financement que le patrimoine est un outil majeur du développement touristique, ainsi qu’un élément essentiel de l’identité régionale et nationale.

Il serait cependant plus judicieux, du point de vue de la bonne gestion des fonds publics, de privilégier l’entretien régulier. C’est ainsi que procède le Monumentenwacht, en Flandre, qui a mis en place un système de surveillance et de maintenance des monuments permettant une prise en charge précoce des dégradations, plutôt que des opérations de restructuration engagées trop tardivement.

Les VMF ont organisé un débat "Patrimoine menacé : comment réagir ? "
lors de leur Assemblée générale de juin 2005

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